jeudi 6 mars 2008



Cela fait exactement un mois que nous avons mis le pied à Bombay, Mumbai de son nouveau nom. Ce seul fait symbolique eût été une bonne raison de faire un bilan. D’autres chiffres ronds et surtout le sentiment d’avoir clos un premier chapitre nous amènent à partager avec vous un point sur l’avancée de notre projet.
Quatre semaines exactement depuis notre arrivée le 5 Février, et à ce jour le website du projet (www.NextYearInMumbai.com) a été visité plus de 1000 fois ! Il semble que le mot passe, et au-delà des cercles amicaux et familiaux nous avons des lecteurs au Brésil, en Australie, en Israël ou encore au Canada. Savoir que tant de gens s’intéressent au projet et suivent nos aventures nous donne d’autant plus envie de faire le meilleur documentaire possible, de trouver la plus poignante des manières de partager l’histoire des Bene Israel.
Beaucoup de personnes ont également manifesté leur soutien à travers des donations : c’est avec beaucoup de fierté que nous pouvons annoncer avoir reçu 4300€. Outre l’évidente aide financière que cela représente, cette générosité nous encourage également beaucoup, renforce notre conviction que ce film doit être fait.
Nous tenons donc à remercier chacune et chacun d’entre vous, donatrices, donateurs, lectrices, lecteurs, amies, amis, pour votre soutien à cette aventure. Une aventure qui suit son chemin et entre dans une nouvelle étape.

Lors de ces quatre semaines nous avons pu confronter nos idées, hypothèses et autres plans élaborés depuis l’Occident à la réalité des Bene Israel en Inde. Au gré des rencontres, des lieux visités, des balades dans Bombay, des cérémonies auxquelles nous avons été conviés (la dernière en date étant une Bar-Mitzvah, v. photo), notre point de vue s’est petit à petit affûté.
Nous avons le sentiment de maîtriser correctement les trames historique et contemporaine de cette communauté, et sommes prêts à réaliser un documentaire portant le regard de nos personnages mais aussi le nôtre. Nous commencerons ainsi à filmer des interviews dès cette semaine.
En attendant, voici ce que nous pouvons raconter des Bene Israel. Arrivés en Inde vers 175 av. J.-C., les Bene Israel sont les descendants de Juifs ayant perdu une grande partie de leur savoir spirituel et religieux lors de circonstances ayant pu être un naufrage. À travers une vingtaine de siècles et quelques 80 générations ils ont maintenu et perpétué ce qu’ils pouvaient de leur Judaïsme, tout en absorbant progressivement des éléments de la vie sociale et religieuse de l’Inde. Aujourd’hui encore, des signes de cette profonde intégration sont palpables : du système de castes aux offrandes de noix de coco, les Bene Israel offrent un témoignage unique du processus d’assimilation des Juifs en Diaspora. Sans synagogues jusqu’au XVIIIème siècle et presque aucun rabbin jusqu’aujourd’hui, ils ont réussi à se transmettre des rudiments de Judaïsme (circoncision, congé le samedi) et la foi dans leur appartenance à un peuple et à une terre lointaine.

Ces juifs très indiens ont vécu dans la région du Konkan – la côte au Sud de Bombay – jusqu’à ce que la capitale du Maharastra devienne un pôle d’attraction aux yeux doux. L’exode rural fut plus tard doublé par les chants d’une autre sirène, ceux du « pays où coule le lait et le miel », la Terre Promise, Israël. Ainsi ne compte-t-on plus aujourd’hui que 150 Bene Israel dans le Konkan, près de 3500 dans Bombay et ses banlieues, et un moins d’un millier dans le reste de l’Inde.

À la création de l’Etat Juif en 1948, la communauté Bene Israel comptait environ 35'000 personnes en Inde, il en reste donc sept fois moins soixante ans plus tard. Selon les sources, entre 50'000 et 70'000 d’entre eux vivent maintenant en Israël.
Il nous a été difficile de comprendre ce qui poussa l’immense majorité de cette communauté à quitter un pays où elle n’avait jamais souffert de discrimination. Plusieurs raisons, parfois conjuguées, semblent avoir motivé ce départ : le désir de retrouver leur terre originelle (v. la métaphore de Krishna dans la troisième chronique) ; des meilleures perspectives économiques que dans l’Inde des années 50 ; l’attirance nourrie de fantasmes pour un mode de vie occidental ; un meilleur système de couverture sociale et d’éducation.


Au rendez-vous des promesses, l’eldorado espéré leur a d’abord posé un lapin. Outre l’adaptation difficile à un nouveau style de vie, les Bene Israel souffrirent de discriminations raciales et de scepticisme quant à leur judéité. Mais la boule-de-neige avait commencé a dévalé la pente, les familles restées en Inde virent fondre le contingent de potentiels époux pour leurs enfants. La migration se poursuivit, ne diminuant finalement que dans les années 90. Depuis, le nombre de Bene Israel quittant l’Inde chaque année est inférieur à 100.

Notre film documentaire s’intéresse à ces familles qui sont restées, à ces jeunes qui continuent à grandir en Inde, et dont la réalité diffère largement de celles de leurs ancêtres. Les progrès dans les moyens de communication et de transport leur ont donné accès à des informations sur le reste du monde juif et les ont ouverts à différentes interprétations du judaïsme. Après avoir fait survivre leur identité par la répétition fervente de rites religieux, les Bene Israel ont enfin les outils de compréhension et de réflexion nécessaires pour interroger leur pratique, soulignant le manque d’options spirituelles au sein de leur communauté. Outre le petit mouvement libéral (Jewish Religious Union), né dans les années 20, la plupart des congrégations continuent à suivre des traditions orthodoxes, mettant peu l’accent sur le sens des prières et de la Torah.
La question de la migration ne se pose plus de la même manière que pour ceux qui ont quitté l’Inde en bateau dans les années 50. Aujourd’hui, la plupart des jeunes Bene Israel a foulé la plage de Tel-Aviv au moins une fois. Ils peuvent y comparer leur style de vie et voir que le nombre de fiancé(e)s potentiel(le)s y est bien plus grand que chez eux. Mais l’Inde, en pleine mutation, est devenue un moteur de l’économie mondiale au taux de croissance jalousé. Vouloir y construire sa carrière semble aujourd’hui un pari logique.

Un savoir accru, des voyages abordables, un pays qui se modernise : cette redistribution des cartes pousse aujourd’hui les Bene Israel à redéfinir leur identité judéo-indienne. Les raisons de partir ou de rester ne sont plus les mêmes, les dilemmes ont évolué. Chaque individu y répond différemment, et notre documentaire se fera la voix de perspectives différentes. Être Juif et Indien en 2008 ? Il nous reste maintenant deux mois pour que ces profondes questions identitaires soient partagées depuis Bombay à travers le reste du monde. Moteur ? Ça tourne !